Un jugement trop hâtif

Le pas rapide, l'air renfrogné, Mathis monte deux par deux les marches du siège social de son entreprise. Une heure auparavant, il a reçu un appel de son manager qui l'a sermonné en raison de la perte de huit clients depuis trois mois et lui a alors demandé de passer au plus vite. Son responsable de secteur, Gérard, l'accueille dans son bureau affairé et en vive discussion au téléphone. « Je sens que ça va être chaud », se dit Mathis qui aimerait être à cent lieues d'ici. Il repense à son dernier week-end au bord de la mer avec sa douce. « Que j'étais bien. »

Un « assieds-toi là » sur un ton agacé le sort de sa rêverie. Gérard, le regard rivé à son ordinateur scrute ses tableaux de bord, et lance la discussion qui s'annonce houleuse. « Tu vas maintenant m'expliquer clairement ce qui se passe. J'ai vu que tu avais huit clients de moins dans ton portefeuille et ils ne sont pas partis à la retraite. Tu t'es engueulé avec eux ? Ils ont été déçus par un service ? Allez, raconte-moi tout. » Prenant une grande inspiration, Mathis se lance. « Non, c'est moi qui ne les visite plus, car ils me prenaient trop de temps. » Ne s'attendant pas à une telle réponse, Gérard reste bouche bée. « Comment cela ? C'est toi qui ne veux plus les voir ? Alors que nous nous démenons pour en trouver de nouveaux. Mais tu marches sur la tête ou quoi ? » Sa réaction n'est pas une surprise pour Mathis qui a toujours eu du mal à dialoguer sereinement avec un manager qui s'emporte vite. « Laisse-moi au moins t'expliquer pourquoi je fais cela au lieu de me crier dessus. » La tension monte entre les deux hommes.

Mathis est à deux doigts de quitter le bureau quand la porte s'ouvre. Pascal, le responsable appro, passe la tête en claironnant : « Désolé de vous déranger, mais le gars qui vient pour parler de performance commerciale est arrivé. On vous attend en salle de réunion. » Gérard a juste le temps de héler Pascal, « justement, ça tombe bien, tu sais que Mathis se permet de ne plus visiter certains clients ». Le responsable appro regarde alors Mathis qui bout intérieurement devant le croche-pied de son chef. « Il a sûrement de bonnes raisons, c'est un bon technico, je l'ai vu à l'oeuvre. Vous en parlerez avec le coach ! »

Hélène Laurandel